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La méditation dans le Bouddhisme Tibétain : "Psychologie bouddhiste, psychologie occidentale", par Chögyam Trungpa Rinpoche

 

Présenté par Hélène Pény


© Extraits de l’article “The Meeting of Buddhist and Western Psychology”, édité par Nathan Katz dans The Naropa Journal of Contemplative Psychology, Volume IV et réédité en 2005 par les editions Shambhala dans The Sanity We Are Born With, ©Traduction Karuna-France, 2005


L’expérience directe et la théorie

La psychologie traditionnelle bouddhiste souligne l’importance de l’expérience directe dans le travail psychologique. Si l’on compte uniquement sur la théorie, quelque chose de fondamental est perdu. Du point de vue bouddhiste, l’étude de la théorie est seulement un premier pas. Elle doit être complétée par un entraînement à l’expérience directe de l’esprit lui-même, en soi et chez les autres.

Dans la tradition bouddhiste, cet aspect expérientiel est développé par la pratique de la méditation qui est une observation directe de l’esprit. La méditation dans le bouddhisme n’est pas une pratique religieuse mais plutôt une façon de clarifier la véritable nature de l’esprit et de l’expérience. Traditionnellement, l’entraînement à la méditation comporte trois parties : shila (la discipline), samadhi (la pratique de la méditation) et prajna (la prise de conscience).

Shila (la discipline) consiste à simplifier sa vie en général et à éliminer les complications inutiles. Pour développer une discipline mentale authentique, il est d’abord nécessaire de voir comment nous nous chargeons continuellement du poids d’activités et de préoccupations extérieures.

Ensuite, il y a samadhi, la méditation, qui est le coeur de l’entraînement expérientiel bouddhiste. Cette pratique consiste à s’asseoir et à porter une attention légère mais consciente au souffle, et ensuite à noter lorsque votre attention n’est plus sur le souffle et donc à l’y ramener. On prend une attitude de simple attention envers les différents phénomènes tels que les pensées, les sensations et les sentiments qui s’élèvent dans l’esprit et dans le corps pendant la pratique. On peut dire que la méditation est un chemin nous menant à l’amitié envers nous-mêmes. C’est une expérience de non-agression. En fait, traditionnellement, la pratique de la méditation est appelée « demeurer en paix ». La pratique de la méditation est un chemin permettant de faire l’expérience du fondement même de notre être, au-delà de nos schémas de fonctionnements habituels.

Shila est la base de la méditation et samadhi est le chemin de la pratique. Le fruit en est prajna, ou la prise de conscience. Elle commence à se développer grâce à la méditation. Dans l’expérience de prajna, la personne perçoit directement et concrètement comment l’esprit fonctionne réellement, ses mécanismes et ses réflexes à chaque instant. Prajna est traditionnellement appelée la vision discriminante, ce qui ne signifie pas que l’on développe des préférences. Prajna est plutôt la connaissance de son propre monde et de son propre esprit sans aucun préjugé. Prajna discrimine en ce sens qu’elle distingue la confusion de la névrose.

Prajna est une prise de conscience immédiate et non-conceptuelle et en même temps, elle nous amène à l’étude intellectuelle. Lorsque quelqu’un a vu comment fonctionne vraiment son propre esprit, il a un désir naturel de clarifier et de mettre en mots ce dont il a fait l’expérience. Cette curiosité est spontanée : comment d’autres personnes ont-elles parlé de la nature de l’esprit ? La prise de conscience immédiate mène vers l’étude mais en même temps, il est nécessaire de maintenir une discipline permanente d’entraînement à la méditation de façon à ce que les concepts ne deviennent jamais uniquement des concepts. Le travail psychologique reste alors vivant, frais et bien enraciné.

Une question importante revient toujours quand des psychologues occidentaux commencent à étudier le bouddhisme : « Est-ce qu’il faut devenir bouddhiste pour étudier le bouddhisme ? » La réponse est évidemment que non mais on doit aussi se demander en retour : qu’est-ce que l’on veut apprendre ? Ce que le bouddhisme a vraiment à apprendre au psychologue occidental, c’est de savoir comment se relier plus étroitement à sa propre expérience et à la fraîcheur, à l’entièreté et à l’immédiateté de cette expérience. Pour cela, on n’est pas obligé de devenir bouddhiste mais on doit pratiquer la méditation. Il est certainement possible d’étudier seulement la théorie de la psychologie bouddhiste mais ce serait passer complètement à côté de son propos. Si on ne se base pas sur sa propre expérience, on ne fait qu’interpréter les notions bouddhistes à travers des concepts occidentaux. Une bonne expérience de la méditation enrichit le travail avec soi et avec les autres. C’est une aide très importante quel que soit l’intérêt que l’on porte au bouddhisme en tant que tel.

Le point de vue de la santé

La psychologie bouddhiste est fondée sur la notion que les êtres humains sont fondamentalement bons. Leurs qualités les plus fondamentales sont des qualités positives : l’ouverture, l’intelligence et la chaleur. Cette idée prend racine dans l’expérience de la bonté et d’un sentiment de valeur en soi-même et chez les autres. Cette compréhension est vraiment fondamentale. Elle est l’inspiration primordiale de la pratique et de la psychologie bouddhistes.

Dans la vision bouddhiste, les problèmes que nous rencontrons sont considérés comme des imperfections passagères et superficielles qui recouvrent notre bonté fondamentale. Ce point de vue est positif et optimiste mais, encore une fois, nous devons souligner que ce point de vue n’est pas purement conceptuel. Il prend racine dans l’expérience de la méditation et dans la santé qu’elle fait émerger. Il y a des schémas névrotiques habituels temporaires qui se développent à partir du passé mais on peut les voir et couper à travers eux.

Par la pratique associée à l’étude, on fait l’expérience de la santé fondamentale de l’esprit, le nôtre et celui des autres. On peut voir que nos problèmes ne sont pas enracinés si profondément que ça. On remarque qu’on peut vraiment faire des progrès. On découvre que l’on devient plus conscient, que l’on développe plus de santé et de clarté au fur et à mesure qu’on avance. C’est extrêmement encourageant.

Cette orientation qui privilégie la santé et la bonté provient de l’expérience de l’absence d’ego, une notion qui pose un certain nombre de difficultés aux psychologues occidentaux. L’absence d’ego ne signifie pas que rien n’existe, comme certains l’ont pensé. Il ne s’agit pas d’une forme de nihilisme. Cela signifie au contraire que vous pouvez lâcher prise de vos schémas névrotiques habituels et que, quand vous lâchez prise, vous le faites vraiment. Vous ne recréez pas une autre coquille immédiatement après. L’absence d’ego, c’est avoir suffisamment confiance pour ne pas reconstruire du tout et c’est faire l’expérience de la santé et de la fraîcheur qui vont avec le fait de ne pas reconstruire. On ne peut faire pleinement l’expérience de l’absence d’ego qu’à travers la pratique de la méditation.

L’expérience d’absence d’ego développe une véritable empathie à l’égard des autres. L’ego interfère avec la possibilité d’une communication véritablement directe, hors cette communication directe est de toute évidence essentielle dans le processus thérapeutique. L’absence d’ego rend tout le processus de travail avec les autres authentique, généreux et libre dans sa forme. C’est la raison pour laquelle, dans la tradition bouddhiste, on dit que, sans absence d’ego, il est impossible de développer une compassion véritable.

La pratique thérapeutique

La tâche du thérapeute est d’aider les patients à se reconnecter à leur bonté et à leur santé fondamentales. Des patients potentiels viennent à nous avec un fort sentiment d’aliénation et de pauvreté intérieure. Nous devons leur pointer ce terrain fondamental de santé qui existe en eux et cela est plus important encore que de leur donner une batterie de techniques pour combattre leurs problèmes. On pourrait penser que c’est beaucoup demander, surtout lorsque l’on est confronté au travail avec quelqu’un qui a tout un historique de problèmes et de difficultés. Mais la santé de l’esprit de base est en fait à portée de main et peut-être facilement expérimentée et encouragée.

Pour cela, il va sans dire que le thérapeute doit d’abord commencer par faire l’expérience de son propre esprit de cette manière. A travers la méditation, la clarté et la chaleur envers soi-même ont la place de se développer et elles peuvent ensuite être étendues au patient. Le point de vue bouddhiste donne de l’importance à l’impermanence et au côté transitoire des choses. Le passé est le passé, le futur n’a pas encore eu lieu, ainsi nous travaillons avec ce qui est ici, la situation présente. Ceci nous aide à ne pas catégoriser ou théoriser. Une situation fraîche et vivante existe sans cesse, dans l’instant présent. Avec cette approche qui ne catégorise pas, on est totalement présent plutôt que d’essayer de prolonger un évènement passé. Nous n’avons pas à regarder le passé pour voir de quoi nous et les autres sommes faits. Les choses parlent d’elles-mêmes ici et maintenant.

Bouddhisme et psychologie occidentale

Lorsque j’étais à Oxford, j’ai été impressionné par certains points forts de la psychologie occidentale et je le suis toujours. Elle est ouverte à de nouveaux points de vue et à de nouvelles découvertes et maintient une attitude critique envers elle-même. Elle est une des disciplines intellectuelles occidentales qui est le plus basée sur l’expérience. Mais en même temps, du point de vue de la psychologie bouddhiste, il y a certainement quelque chose qui manque dans son approche. Cet élément manquant, comme nous l’avons suggéré dans toute cette introduction, est la primauté de l’expérience immédiate.


Chögyam Trungpa Rinpoche, 1982