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Compte-rendu de la conférence de Jon Kabat-Zinn du 10 juin 2009 à la Maison de la Mutualité, Paris

Par : Laurence Mir

Le mot de bienvenue de Christophe André, médecin psychiatre (Centre Hospitalo-Universitaire Sainte-Anne, Paris)

 

« La présence de Jon Kabat-Zinn parmi nous est

un événement, une chance et un bonheur ».

Le Dr Christophe André a souligné l’importance des travaux de Jon Kabat-Zinn dont il bénéficie en tant que thérapeute. Jon Kabat-Zinn est en effet celui qui a permis à des pratiques méditatives pluri-millénaires utilisées dans le champ de la spiritualité et du développement personnel de rentrer dans le champ de la psychologie scientifique. En codifiant et en adaptant ces approches méditatives, Jon Kabat-Zinn a permis leur évaluation dans le cadre d’une démarche scientifique. Or la validation de nouvelles méthodes est une étape préliminaire indispensable à leur entrée dans l’arsenal thérapeutique. Ceux qui prétendent soigner les autres dans une relation d’aide structurée doivent pouvoir s’appuyer sur des preuves scientifiques.

Mais les propos de Jon Kabat-Zinn vont bien au-delà de la simple psychothérapie. Pour Christophe André, ils permettent de modifier notre rapport au monde. La pleine conscience, ce n’est pas seulement des exercices à pratiquer, c’est une attitude face à l’existence, y compris dans ses moments peu agréables. Au lieu de ruminer tristement ses pensées, on va habiter le réel différemment. La pleine conscience, c’est vivre le plus d’instants possibles de notre vie d’une manière consciente, dans l’accueil, la bienveillance et la curiosité par rapport aux événements de vie. C’est un outil doux et puissant de changement personnel.

 

 

Homo sapiens sapiens : la promesse de l’Homme sage

Jon Kabat-Zinn nous a invités à réfléchir à notre nom d’espèce humaine : Homo sapiens sapiens. Le verbe latin « sapere » recouvre à la fois le goût et le savoir. Nous sommes donc l’espèce qui connaît et qui sait qu’elle connaît ; il y a la conscience et la conscience de la conscience.

Mais n’est-ce pas un peu arrogant de se décrire comme ça ?... Convenons qu’il s’agit plutôt d’une indication du niveau auquel nous pouvons prétendre accéder en nous élevant progressivement. Car en tant qu’espèce, nous en sommes encore à la prime enfance. Le temps de l’agriculture a démarré il y a à peu près 10 000 ans, les premières cités datent d’il y a environ 6 000 ans ; en terme de générations humaines, cela fait peu. Nous sommes donc une espèce avec un potentiel extraordinaire.

La valeur de l’esprit humain se mesure à sa créativité incroyable. L’Homme est capable de créer des monuments et des choses magnifiques. Mais ce même esprit humain peut aussi être à la source de nombreux problèmes. En témoigne le nombre de massacres et d’horreurs qui ont eu lieu au cours du siècle écoulé, en particulier dans la partie occidentale du monde qui est considérée comme la plus « évoluée ». Pour Jon Kabat-Zinn, « cela nous montre clairement la direction dans laquelle nous devons aller ».

 

Toucher le potentiel de développement en nous

L’homo sapiens sapiens a le potentiel de se développer dans sa pleine humanité. Cette capacité de conscience et d’attention qui est notre plus grand joyau peut grandir. Et plus nous allons nous y intéresser, en partant de nous-mêmes, plus cela va nous engager à développer notre éthique et nos relations avec autrui.

Cela implique que nous rentrions en amitié avec nos pulsions les plus profondes, y compris de colère et de violence. Chacun a fait l’expérience que ce ne sont pas seulement les autres qui sont capables de générer de la colère mais que nous aussi en sommes capables. Si l’on a l’espoir de transformer le monde, de guérir le monde, la première chose est de commencer chez soi, par soi. Le Bouddha avait fait remarquer que le bon point de départ était le corps. Alors Jon Kabat-Zinn nous a proposé de prendre un moment pour juste rentrer en nous.

Le temps d’une courte méditation assise guidée, nous avons laissé notre conscience inclure la sensation de notre corps, dans sa globalité, simplement ici, en train de respirer. Nous avons constaté que la conscience pouvait le faire sans effort et que cela n’impliquait pas non plus la pensée. Que nous faisions l’expérience du moment présent sans avoir à nous comporter d’une manière spéciale. Que nous pouvions simplement être avec les choses, exactement comme elles sont, en ce moment présent. Jon Kabat-Zinn nous a invités à observer quelque temps la qualité de notre conscience elle-même, à porter notre attention avec amitié sur notre conscience, à chercher son éventuel centre et ses limites, à voir ce qui s’y passait en ce moment. Puis, dans cette qualité de présence, d’instant en instant, nous avons laissé notre conscience s’élargir à ce qu’il y avait autour de nous, pour y inclure la salle de conférence et le bâtiment de la Mutualité.

Jon Kabat-Zinn a conclu : «  Quand on parle de mindfulness, de développer sa pleine conscience, on ne se réfère pas à des techniques qui viseraient à se transformer, à devenir autre chose. Quel que soit l’état auquel vous voulez accéder, il est déjà là ».

 

Habiter le présent de notre vie

Nous ne savons pas précisément comment fonctionne la conscience. Il en est de même des yeux qui peuvent voir, des oreilles qui peuvent entendre, des mots que nous comprenons et de notre corps qui nous a conduits là où nous sommes. Nous ne savons pas toujours comment nous faisons toutes ces choses remarquables.

En revanche, très souvent, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne « fonctionne pas ». On passe en fait la plupart du temps à se focaliser sur ce qui ne va pas et à rechercher des solutions pour aller mieux, être plus heureux. Nos pensées se tournent sur ce qui va se passer, vers notre avenir. A partir du moment où l’on prête attention à ses pensées, on se rend compte que l’on est en train de planifier toutes sortes de choses, de mettre en place des stratégies pour éviter que se produise ce dont on n’a pas envie ou pour favoriser ce qui nous paraît souhaitable.

Et lorsque nous ne sommes pas occupés à cela, nous sommes en train de penser au passé, surtout si le présent nous confronte aux difficultés. L’esprit analyse : « pourquoi ça s’est passé comme ça », « qu’est-ce que j’aurais pu faire pour que ça se passe autrement », etc. Inévitablement, nous impliquons d’autres personnes qui étaient là, ont fait ça …

Entre les préoccupations concernant l’avenir et celles concernant le passé, il n’y a plus d’espace pour le moment présent. Il est oblitéré, comprimé. Si l’on n’y fais pas attention, il se pourrait qu’on passe à côté de nos vies en étant toujours ailleurs.

Au lieu de se projeter constamment dans le futur ou dans le passé, nous pouvons habiter le moment présent. Il s’agit de savoir si nous allons incarner notre vie pendant qu’on a l’opportunité de la vivre, et profiter enfin de chaque instant qui nous est donné, plutôt que d’attendre que soient enfin réunies les conditions pour se sentir bien. D’ailleurs, même en admettant qu’elles soient réunies, on n’en profite pas parce qu’on sait que ça n’aura qu’un temps.

Selon Jon Kabat-Zinn, « la raison pour laquelle il faut pratiquer la pleine conscience, c’est que la plupart du temps, justement, nous pratiquons son opposé ».

 

Nous valons beaucoup mieux que notre ego

Plus nous cultivons une attitude, plus elle devient naturelle. Si l’on pratique la colère, on devient un coléreux de plus en plus performant. Si l’on pratique l’égocentrisme, on se perfectionne de plus en plus à ce petit jeu. Certes, que nous nous considérions comme le centre de l’univers n’est pas un problème en soi. Sauf qu’il en est de même pour tout le monde…

Si nous agissons tout le temps comme le centre de l’univers, en pensant « ma vie », « mes enfants », « mes succès », « mes échecs », etc., nous renforçons la pensée que nous sommes au centre de l’univers.

Peut-être est-ce un peu étroit. Car ce que nous sommes vraiment est beaucoup plus vaste que ce que nous croyons être. Ce n’est pas forcément quelque chose dont nous pouvons et savons parler. Peut-être est-ce pour cela que nous avons besoin de la poésie  : les poètes ont ce talent de donner à une voix à ce qui est difficilement exprimable.

A la fin de sa vie, après avoir enseigné pendant 45 ans, le Bouddha a fini par dire que tous ses enseignements pouvaient être rassemblés en une seule phrase : « il n’y a rien à quoi s’accrocher qui soit de l’ordre du « Je », « Moi », « Mien ». Cela signifie qu’il faut vraiment porter attention au nombre de fois où nous nous accrochons à ces notions du « Je », du « Moi », du« Mien » et ainsi mieux voir comment nous renforçons perpétuellement notre égocentrisme. C’est évidemment lui qui va donner naissance à cette envie d’avoir toujours plus pour soi.

L’avidité est l’état mental qui fonde cette tendance à vouloir plus pour soi, à écarter ce que l’on n’aime pas et à être dans l’ignorance. Et nous voyons comment l’économie mondiale vient de s’effondrer justement à cause de cette avidité. Quelle solution, à part prendre conscience de notre interdépendance ? Pour faire face au changement climatique, nous n’avons pas non plus le choix. Si l’on n’est concerné que par soi-même, si l’on prend ce dont on a besoin sans se préoccuper des autres, ce sont les générations futures qui souffriront. La question est : avons-nous réellement en tant qu’individu le pouvoir de véritablement changer le monde, simplement en prenant soin de nous-même, en mesurant la responsabilité de qui nous sommes, et en le prenant en charge ?

 

Laisser notre champ de conscience s’élargir

De quoi disposons-nous pour connaître toute chose ? De nos cinq sens, bien sûr, mais cela ne suffit pas.

La conscience est notre sixième sens sans lequel on ne peut connaître quoi que ce soit. La conscience nous permet une connaissance directe des choses. On n’a pas besoin de toucher son corps pour le percevoir.

Par un petit exercice ludique mettant en jeu la perception visuelle*, Jon Kabat-Zinn nous a montré comment nous passions facilement à côté de phénomènes pourtant évidents. Nous pensons très souvent que nous savons comment il faut voir les choses et nous nous entêtons à les voir de la sorte, même si notre entourage nous engage à les voir différemment. Surtout si des intérêts personnels nous poussent à aller dans un sens bien précis. Or, on peut être aveuglé si l’on n’élargit pas son attention.

Nous avons également intérêt à porter notre attention sur ce qui capte notre attention, et à faire en sorte de développer un large spectre de conscience afin de savoir ce qui est vraiment important. Cela ne veut pas dire qu’il faille cesser de faire attention aux aspects spécifiques des choses mais qu’il faut, tout en s’attachant à ces détails, laisser notre conscience s’élargir et accroître notre vigilance vis-à-vis de ce que l’on fait et des raisons qui nous poussent à le faire.

Le risque sinon est de regarder sans voir, d’entendre sans écouter, de toucher sans ressentir, de manger sans goûter et finalement de vivre notre vie sans être dedans.

Le défi de la pleine conscience consiste justement à pouvoir habiter notre humanité dans toute sa dimension en commençant par la découvrir car elle nous est généralement inconnue. L’instant présent est souvent comme une dimension cachée. Notre corps est aussi une dimension cachée car nous nous situons habituellement au niveau de notre tête, de nos pensées, et nous n’allons faire une petite visite à notre corps que quand quelque chose ne va pas. Alors seulement nous nous en préoccupons très sérieusement. Pourquoi ne pas commencer à s’en soucier avant d’avoir mal ?

Etre régulièrement assis en méditation est un acte radical de santé. A ce moment on s’établit dans l’être et non plus dans l’action inconsciente. C’est aussi être en amitié avec soi-même, sans vouloir se changer tout le temps, sans chercher à être différent, à atteindre des objectifs d’amélioration de soi. C’est une nouvelle façon d’être. Au lieu de circonscrire votre petit « moi » au centre, vous vous autorisez à laisser le plein potentiel de votre être s’exprimer.

La pratique méditative doit être l’objet de la vie entière. Ce n’est pas facile, cela demande beaucoup d’engagement et de motivation. Mais y-a-t-il quelque chose de plus important ? Y-a-t-il autre chose qui vaille la peine ? Telle est la question sur laquelle Jon Kabat-Zinn a achevé sa conférence