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La méditation selon le Bouddhisme Tibétain, par Matthieu Ricard

"MORCEAUX CHOISIS" par Hélène Pény

 

In Matthieu RICARD, L'art de la Méditation, NiL éditions, Paris 2008

 

II. SUR QUOI MEDITER ?


P. 25

"L'objet de la méditation est l'esprit. Pour le moment il est à la fois confus, agité, rebelle... La méditation n'a pas pour but de le briser ni de l'anesthésier, mais de le rendre libre, clair et équilibré.

D'après le bouddhisme, l'esprit n'est pas une entité mais un flot dynamique d'expériences, une succession d'instants de conscience... si nous voulons observer les mécanismes les plus subtils du fonctionnement de notre esprit et agir sur eux, nous devons absolument affiner notre pouvoir d'introspection. A cette fin, il nous faut parfaitement aiguiser notre attention de façon à ce qu'elle devienne stable et claire. Nous pourrons alors observer le fonctionnement de notre esprit, la façon dont il perçoit le monde, et comprendre l'enchaînement des pensées. Enfin, nous serons en mesure d'affiner davantage la perception de notre esprit pour discerner l'aspect le plus fondamental de la conscience, un état parfaitement lucide et éveillé qui est toujours là, même en l'absence de constructions mentales.

 

Ce que la méditation n'est pas :

... elle (la méditation) ne consiste ni à faire le vide dans son esprit en bloquant les pensées - ce qui est d'ailleurs impossible - ni à engager l'esprit dans des cogitations sans fin pour analyser le passé ou anticiper l'avenir. Elle ne se réduit pas non plus à un simple processus de relaxation...

 

Une maîtrise qui libère :

La façon de gérer les pensées, ..., ne consiste ni à les bloquer ni à les nourrir indéfiniement, mais à les laisser survenir et se dissoudre d'elles-mêmes dans le champ de la pleine conscience, de sorte qu'elles n'envahissent pas notre esprit.

Etre libre, c'est être maître de soi-même...

 

Au coeur de la réalité :

On commence donc par observer et comprendre comment les pensées s'enchaînent et engendrent tout un monde d'émotions, de joies et de souffrances. On pénètre ensuite derrière l'écran des pensées pour appréhender la composante fondamentale de la conscience, la faculté cognitive première, au sein de laquelle toutes les pensées et tous les autres phénomènes mentaux surgissent.

... Il ne semble pas excessif de passer ne serait-ce que vingt minutes par jour à mieux connaître son esprit et à l'entraîner.

 

III. COMMENT MEDITER ?

P. 31

La motivation :

La pratique bouddhiste n'exige pas de renoncer à tout ce qui est réellement bénéfique dans l'existence, mais plutôt d'abandonner les causes de la souffrance, auxquelles nous sommes pourtant attachés comme à des drogues. Cette souffrance étant due à la confusion mentale qui obscurcit notre lucidité et notre jugement, la seule façon d'y remédier est d'acquérir une vision juste de la réalité et de transformer notre esprit. Nous éliminerons ainsi ses causes premières : les poisons mentaux que sont l'ignorance, la malveillance, l'avidité, l'arrogance et la jalousie, eux-mêmes produits par l'attachement égocentrique et fallacieux au "moi".

Se guérir de ses souffrances personnelles ne suffit pourtant pas... tous les êtres sont interdépendants et nous sommes donc intimement liés aux autres. Par conséquent, le but ultime de la transformation que nous allons entreprendre par la méditation est aussi d'être capable de libérer tous les êtres de la souffrance et de contribuer à leur bien-être.

 

Les conditions favorables à la pratique de la méditation :

  • Suivre les conseils d'un guide qualifié...
  • Un lieu propice à la méditation ... un lieu tranquille...
  • Une posture physique appropriée... Il faut donc adopter une posture équilibrée, ni trop tendue ni trop relâchée. On trouve dans les textes la description de la posture en sept points, appelée vajrasana :

- Les jambes sont croisées dans la posture du vajra, communément appelée "posture du lotus"... Si celle-ci est trop difficile, on peut adopter le "demi-lotus"...

- Les mains reposent sur le giron, dans le geste de l'équanimité, la main droite sur la main gauche, l'extrémité des pouces se touchant. Une variante consiste à poser les deux mains à plat, sur les genoux, les paumes vers le bas.

- Les épaules sont légèrement relevées et penchées vers l'avant.

- La colonne vertébrale est bien droite, "comme une pile de pièces d'or".

- Le menton est légèrement rentré contre la gorge.

- La pointe de la langue touche le haut du palais.

- Le regard est dirigé droit devant soi ou légèrement vers le bas, dans le prolongement du nez, les yeux grands ouverts ou mi-clos.

Si nous avons de la peine à méditer les jambes croisées, nous pouvons bien sûr méditer sur une chaise ou sur un coussin surélevé...

On peut, enfin, faire alterner la méditation assise avec la marche contemplative...


  • L'enthousiasme comme moteur de la persévérance...

Quelques recommandations générales :

Il est essentiel de maintenir la continuité de la méditation, jour après jour, car c'est ainsi que celle-ci prendra peu à peu de l'ampleur et gagnera en stabilité, comme un filet d'eau qui se transforme graduellement en ruisseau puis en fleuve... Nous pouvons, par exemple, consacrer vingt minutes chaque jour à la méditation et profiter des pauses dans nos activités pour raviver, ne serait-ce que quelques minutes, l'expérience que nous aurons acquise durant notre pratique formelle...
On dit aussi que l'assiduité ne doit pas dépendre de l'humeur du moment. Que notre séance de méditation soit plaisante ou ennuyeuse, facile ou difficile, l'important est de persévérer...
Il est également conseillé de ne pas accorder d'importance aux diverses expériences intérieures qui peuvent surgir au cours de la méditation sous forme, par exemple, de félicité, de clarté intérieure, ou d'absence de pensées.

Méditation sur la pleine conscience :

... Nos automatismes de pensée sont aux antipodes de la pleine conscience. Celle-ci consiste à être parfaitement éveillé à tout ce qui surgit en soi et autour de soi, d'un instant à l'autre, à tout ce que nous voyons, entendons, ressentons ou pensons. A cela s'ajoute une compréhension de la nature de ce que nous percevons, libre des déformations que provoquent nos attirances et nos rejets. La pleine conscience possède également une composante éthique qui permet de discerner s'il est bénéfique ou non d'entretenir tel ou tel état d'esprit et de poursuivre ce que l'on fait à l'instant présent...



Méditation 1
Observons ce qui se présente à notre conscience, sans lui surimposer quoi que ce soit, sans nous laisser attirer ni repousser. Contemplons ce qui est présent devant nous, une fleur par exemple, écoutons attentivement les bruits proches ou lointains, humons les parfums et les odeurs, sentons la texture de ce que nous touchons, enregistrons nos diverses sensations en percevant clairement ce qui les caractérise. Soyons entièrement présents à ce que nous faisons, que nous marchions, soyons assis, en train d'écrire, de faire la vaisselle ou de boire une tasse de thé. Il n'y a plus de tâches "plaisantes" ou "déplaisantes", car la pleine conscience ne dépend pas de ce que l'on fait, mais de la manière dont on le fait, à savoir avec une présence d'esprit claire et paisible, attentive et émerveillée par la qualité du moment présent, en se gardant d'ajouter à la réalité nos constructions mentales...


Le calme intérieur :

La méditation a pour but de libérer l'esprit de l'ignorance et de la souffrance... Pour reconnaître la nature véritable de l'esprit, il faut par conséquent ôter les voiles engendrés par les automatismes de pensée... Il faut commencer par laisser l'esprit devenir clair, calme et attentif. Ensuite, il sera possible d'utiliser ces nouvelles qualités pour en cultiver d'autres, comme l'amour altruiste, la compassion, ...
Pour atteindre ce but, toutes les écoles du bouddhisme enseignent deux types de méditations fondamentales et complémentaires : le "calme mental", appelé shamatha en sanskrit, et la "vision pénétrante" (skt. vipashyana)... Shamata est l'état d'esprit apaisé, clair et parfaitement concentré sur son objet. Vipashyana est la vision pénétrante de la nature de l'esprit et des phénomènes, à laquelle on parvient en analysant minutieusement la conscience, puis en ayant recours à la pratique contemplative, à l'expérience intérieure. Vipashyana permet de démasquer les illusions et, par conséquent, de ne plus être victime des émotions perturbatrices...


 

Méditation sur le va-et-vient du souffle

Asseyons-nous confortablement, si possible en adoptant la posture en sept points décrite précédemment, ou tout au moins en nous tenant bien droit dans une position physique équilibrée. Ici la pleine conscience consiste à rester continuellement présents à notre souffle, sans l'oublier ni nous laisser distraire.

Respirons calmement et naturellement. Concentrons toute notre attention sur le souffle qui va et vient. Soyons particulièrment présents à la sensation que crée le passage de l'air dans les narines, à l'endroit où nous le percevons avec le plus d'acuité... Notons également le moment où le souffle est suspendu entre l'expiration et l'inspiration suivante... Notons, de même, le moment où la respiration s'arrête une seconde entre cette inspiration et l'expiration qui va suivre.

Concentrons-nous de façon identique sur le cycle suivant, et ainsi de suite, respiration après respiration, sans tension aucune, mais sans non plus nous relâcher au point de tomber dans la torpeur. La conscience du souffle doit être limpide et sereine...

Ne modifions pas intentionnellement le rythme de notre respiration...

Tôt ou tard nous tomberons soit dans la distraction accompagnée d'une prolifération des pensées, soit dans un état vague de semi-somnolence, soit encore dans une combinaison des deux... dès que nous nous rendons compte que notre concentration s'est perdue, reprenons-la simplement, sans surenchérir par du regret ou de la culpabilité. Retournons simplement au souffle...

Lorsque les pensées surgissent, n'essayons pas de les arrêter..., évitons simplement de les alimenter...

Si d'autres sensations physiques surviennent, par exemple une douleur..., n'en soyons pas irrités, ne la laissons pas non plus nous submerger. Incluons-la dans la pleine conscience puis revenons à l'observation du souffle. Si la douleur s'avive au point de perturber la méditation, il est préférable de se détendre un moment...

 

Variante 1 :

Une méthode pour raviver la concentration lorsqu'elle devient trop ténue consiste à compter les respirations. On peut, par exemple, compter mentalement "un" à la fin d'un cycle complet du souffle, c'est-à-dire inspiration et expiration, puis "deux" à la fin du cycle suivant, et ainsi de suite jusqu'à dix, et recommencer alors à partir de "un"...

 

Variante 6 :

Normalement, on ne doit pas influencer le va-et-vient du souffle ni s'attarder sur l'intervalle entre inspiration et expiration. Mais dans cette variante, on se concentre quelques instants sur le point de suspension du souffle, c'est-à-dire le moment où le souffle s'évanouit à la fin de l'expiration.


 

La concentration sur un objet :

Il y a bien d'autres manières de cultiver la concentration et le calme mental. Ces méthodes sont de deux sortes, selon que l'on a recours ou non à un objet. Cet objet peut être le va-et-vient du souffle, comme nous venons de le voir, mais aussi d'autres sensations physiques, un forme extérieure ou une image que l'on aura visualisée. On peut choisir un objet extérieur tout à fait ordinaire : un caillou, une fleur ou la flamme d'une bougie, par exemple. Comme dans le cas de la respiration, l'entraînement consiste à laisser l'esprit reposer attentivement sur l'objet choisi, et à le ramener sur celui-ci dès que l'on s'aperçoit que l'on s'est laissé distraire.

L'objet peut aussi être une représentation symbolique ou figurative associée au chemin spirituel...


La concentration sans objet :

La concentration sans objet est l'aboutissement naturel de la concentration avec objet et représente un pas de plus vers la compréhension de la nature fondamentale de l'esprit par l'expérience directe."


Pour approfondir le sujet, quelques titres des derniers chapitres de ce livre :

- Méditations sur l'amour altruiste

Pour cultiver les quatre pensées ou attitudes particulières que sont l'amour altruiste, la compassion, la joie devant le bonheur d'autrui et l'impartialité.

- Un sublime échange

Pour que l'ouverture de notre esprit et de notre coeur aux autres devienne un état permanent : "échanger mentalement, par le biais de la respiration, la souffrance d'autrui contre notre bonheur..."

- Apaiser la douleur physique

- La vision pénétrante

- Dédier les fruits de nos efforts

- Unir méditation et vie quotidienne